top of page

Honegger : Une Cantate de Noël

  • Nègrepierre
  • 21 nov. 2020
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 nov. 2020


ree

En cette époque de Noël, n’est-ce pas le moment d’écouter Une cantate de Noël d’Arthur Honegger, composée entre 1940 et 1953 ? Le compositeur suisse, né au Havre le 10 mars 1892 et mort à Paris le 27 novembre 1955, auteur entre autres du Roi David, oratorio, en 1921, et de Jeanne au bucher sur un livret de Paul Claudel en 1935, termine son cycle de cantates par Une cantate de Noël.

Le compositeur avait d’abord en vue une œuvre plus importante qui devait s’intituler « La Passion de Selzach ». La ville de Selzach, en Suisse, dans le canton de Soleure, avait coutume de toujours représenter une Passion pendant la Semaine Sainte. Le poète César von Arx désirait faire revivre cette tradition et commença à travailler avec Arthur Honegger. Malheureusement, le poète perdit sa femme et se suicida le jour même, ce qui mit fin au projet. Paul Sacher, chef d’orchestre, industriel et mécène suisse et qui a déjà travaillé de nombreuses fois avec le compositeur décide de le solliciter encore une fois malgré sa mauvaise santé. Le premier projet devait être une « Cantate de Pâques » sur un texte de Paul Claudel, avec lequel il avait déjà collaboré pour Jeanne au bûcher, mais la santé d’Honegger se dégradait. Il fallait faire vite. C’est ainsi que, reprenant une partie de la musique déjà écrite pour la Passion de Selzach, Honegger se décida finalement pour Une cantate de Noël.


Avant d’analyser cette Cantate, il est bon d’en faire une première écoute pour la découvrir directement, sans filtre et sans explication. Bien sûr, on peut préférer en lire d’abord l’analyse ou même suivre sur la partition (Salabert).

Il en existe de multiples enregistrements et vidéos. Dans celles qu’on trouve sur YouTube, nous ferons un sort particulier à deux interprétations : celle de Serge Baudo https://www.youtube.com/watch?v=b_2gjaTbqvU et celle de Charles Dutoit avec l’orchestre et les chœurs de Tokyo https://www.youtube.com/watch?v=shTDEWgHNgQ&t=936s

En CD, on peut encore se procurer la version de Baudo couplée à une magnifique Jeanne au bûcher. La version de Michel Corboz https://www.youtube.com/watch?v=mK7_hrvsvAM&t=1016 possède l'avantage d'une parfaite compréhensibilité des paroles et est également très convaincante. Il y en a de nombreuses autres mais il est difficile d’en parler sans les avoir écoutées.


Nous pouvons maintenant présenter l’œuvre : nous le ferons par une écoute linéaire. Il s'agit ici d'une présentation, et non d'une "analyse" au sens musicologique du terme.

Ecrite en do Majeur, l’œuvre nait d’abord du silence auquel elle retournera. De ce silence surgit un « do » grave de l’orgue. Puis peu à peu surgissent d’autres notes qui forment des accords sombres.

L’orchestre entre toujours dans le grave avec un thème déchirant. Puis ce sont les voix qui entrent en commençant par les voix d’homme. Il s’agit d’une sorte de lamentation sans paroles. Les voix s’élèvent peu à peu et à 3’27 (version Dutoit), les hommes commencent le « De profundis », texte plutôt étonnant pour une cantate de Noël. Il s’agit du premier verset du Psaume 129 (130) chanté en latin et dont voici la traduction : Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel. C’est qu’Honegger invite ses auditeurs à un véritable parcours spirituel. C’est tout l’Ancien Testament qui est présent à travers cette introduction : c’est l’humanité entière, venue du fond des âges, qui exprime sa détresse, son désir de sortir du péché et de la mort. Puis à 5’12, la supplication s’exprime par des lamentations de plus en plus fortes et déchirantes, comme une sorte de marche dans la nuit.

De nouveau à 5’53, le psaume se fait entendre, de plus en plus présent et de plus en plus fort. Puis le lamento reprend, culminant en un cri (7’49 – 8’00) puis, après une montée de l’orchestre survient le cri : O viens ! O viens, o viens Emmanuel ! (8’05) Alors le chœur se fait suppliant : En toi vit l'espoir d'Israël. Nos lourdes fautes nous pleurons, entends nos voix, nous t'implorons. La supplication reste musicalement en suspens. Après un court silence, un chœur d’enfants se fait entendre en allemand (9’07) : Freu' Dich, freu' Dich, o Israel ! Bald kommt, bald kommt Emmanuel. Ce qui signifie : Réjouis-toi, ô Israël ! Bientôt, Emmanuel va arriver.

Ces paroles sont communes à des Noëls allemands et anglais. L’original est en latin, notre texte est tiré du livre de chants de Cologne de 1622. Il s’agit bien sûr, de la tradition protestante, mais ce chant est en fait commun aux catholiques et aux protestants. La mélodie et le chœur d’enfants illuminent l’atmosphère. (9’20) Le chœur intervient de nouveau : O viens, parais lumière du jour qui dois nous apporter ton secours. Nous errons tous sans but ni fin, O désigne nous le clair chemin ! avec de nouveau une insistance toujours angoissée. A 10’9, le chœur d’enfants se fait entendre à nouveau, reprenant son annonce : Freu' Dich, freu' Dich, o Israel! Gekommen ist Emmanuel. Mais cette fois, ce n’est plus Emmanuel va arriver mais Emmanuel est arrivé !

Après quelques mesures apaisantes de l’orgue, (10’22) le baryton accompagné de l’orgue et des trompettes intervient : c’est l’annonce « officielle » (10’34) : Ne craignez point, car je vous transmets une bonne nouvelle qui apportera une grande joie : Le Messie est venu sur la terre, dans une étable à Bethléem, vous trouverez couché dans une crèche l'enfant-Jésus. C’est l’annonce des anges dans (Luc 2 – 10).

A 11’21, le chœur d’enfant lui répond par le chant du Noël : Es ist ein reis entsprungen

aus einer Wurzel zart ... Cette belle mélodie, connue depuis le XVI° siècle surtout dans la version de Michaël Praetorius), bien connue aussi en France avec un texte d’Augustin Mahot datant du début du XX° siècle (et non de 1621 comme il est parfois indiqué) est chargée de spiritualité dans sa version allemande, même si le texte a fluctué entre une version protestante présente ici (reis) et la version catholique originelle (Ros) : dans les deux cas, la référence à l’arbre de Jessé et à sa descendance est explicite. Nous n’entrerons pas ici dans ces querelles théologiques… Le texte français « Dans une étable obscure, sous le ciel étoilé… » est plus sentimental et moins théologique !

Et immédiatement survient le cantique français : Il est né le divin enfant. L’origine en est semble-t-il incertaine mais il reste un « marqueur » de Noël pour les pays francophones même si une version officielle a fait disparaître des paroles les hautbois et les musettes…

Et les deux chants alternent :

Il est né, le divin enfant,

Jouez hautbois, résonnez musettes,

Il est né le divin enfant,

Chantons tous son avènement.


Un grain de riz a poussé

D’une tendre racine

Comme les anciens nous l’ont chanté,

Elle descend de Jessé

Elle a produit une fleurette

Au milieu de l’hiver froid

Vers la minuit.

Le riz que je veux dire, (Le bouton de Rose dont je parle)

De qui Isaïe a parlé

C’est Marie, la pure,

qui nous a apporté la fleur.

A la parole immortelle de Dieu,

Elle a porté un enfant

Et resta une vierge pure.


Je ne garantis pas cette traduction, mais elle donne une idée juste du caractère théologique de ce chant de Noël et surtout de l'enracinement dans l'Ancien Testament (l'arbre de Jessé). Pour une analyse succincte mais très bien faite de l'arbre de Jessé, voir https://www.lejourduseigneur.com/jds_referent_videos/vitrail-de-cathedrale-de-chartres-larbre-de-jesse/


Tandis que le chant allemand est chanté à l’unisson, coupé par « Il est né, le divin enfant », se déroule une arabesque chantée par les sopranos et les ténors, reprenant le « Gloria in excelsis Deo ». Une modulation intervient : Il est né, le divin enfant! Chantons tous son avènement, le ciel l'a annoncé. Voici finir la nuit. Et la lumière jaillit en effet de toutes parts :

En effet, en 13’3 commence le « quodlibet ». Ce mot désigne en musique un passage où différents thèmes s’entremêlent. On traduit parfois ce mot par « pot-pourri », mais l’expression signifie plutôt « comme il me plait ». Ici, Honegger entremêle différents Noëls traditionnels : d’abord le :

Vom Himmel hoch, ihr Englein, kommt Haut du ciel,

Eia, eia, Susani, Susani, Susani

Kommt, singt und klingt

Kommt, pfeift und trombt

Alleluja, alleluja

Von Jesus singt und Maria


chant qui invite les anges à faire de la musique avec tous les instruments possibles pour chanter les louanges de Jésus et Marie.

Ce chant se mêle au

Stille Nacht! Heilige Nacht!

Alles schläft, einsam wacht,

Nur das traute hochheilige Paar.

Holder Knabe im lockigen Haar.

bien connu en français avec les paroles : Douce nuit, sainte nuit…

Le premier et le dernier couplet sont utilisés.

Puis vient le chant

O du fröhliche, o du selige,

gnadenbringende Weihnachtszeit!

Welt ging verloren,

Christ ist geboren:

Freue, freue dich, o Christenheit!

Qu’on peut traduire :

Ô joyeux, ô béni et porteur de grâce temps de Noël !

Le monde était perdu, le Christ est né :

Réjouissez-vous, réjouissez-vous, chrétienté !

Et bien sûr, Il est né le divin enfant est toujours là…

Au cours du Quodlibet se fait entendre cet autre noël : Susanni : https://www.youtube.com/watch?v=ysrt4594z24 Susanni n’est pas un nom mais une contraction de« Suse, Ninne! »c'est à dire "Dors, petit enfant".


Bien que cet article ne se veuille pas une analyse musicale au sens propre, on pourra cependant admirer la science du contrepoint développée dans tout ce passage…

Mais voici qu’en 15’14, intervient de nouveau le baryton introduit par l’orchestre qui calme le jeu. Le baryton proclame de nouveau solennellement (i5'24) « Gloria in excelsis Deo ».

Une voix d’enfant chante alors (15'35) le début du premier verset du psaume 116 : Laudate Dominum omnes gentes sur le « ton » grégorien utilisé traditionnellement dans l’église catholique immédiatement après la bénédiction du Saint Sacrement lors du « Salut du Saint sacrement ».

Puis le baryton reprend de nouveau (15'24) : « Gloria in excelsis Deo mais complète : et pax hominibus bonae voluntatis » Gloire à Dieu dans les hauteurs, et paix aux hommes de bonne volonté. Nous gardons ici la traduction littérale pour ne pas entrer dans les querelles théologiques autour des « hominibus bonae voluntatis »…

Le chœur énonce de nouveau le début du premier verset du psaume : Laudate Dominum omnes gentes, puis la deuxième moitié du verset : laudate eum omnes populi (Louez le Seigneur toutes les nations, louez-le tous les peuples.

Puis le chœur chante en valeurs brèves l’ensemble du Psaume 116 :

Laudate Dominum omnes gentes, laudate eum omnes populi,

quoniam confirmata est super nos misericordia ejus et veritas Domini manet in aeternum.

Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto,

sicut erat in principio, et nunc, et semper et in saecula saeculorum.

Amen.

En traduction de la « TOB ( Traduction œcuménique de la Bible) » : Nations, louez toutes le SEIGNEUR Peuples, glorifiez-le tous. 2 Car sa fidélité nous dépasse, et la loyauté du Seigneur est pour toujours. Alléluia ! –

Au-dessus du chœur adulte, le chœur d’enfant et les trompettes proclament en valeurs longues le seul refrain. Ce procédé est classique en musique : on le trouve de Bach à Delerue. Citons pour Bach le premier chœur de la Cantate 140 dite « du Veilleur » (Wachet auf). Vous pouvez l’écouter sur https://www.youtube.com/watch?v=hR5ImpCyrdY (en suivant sur la partition…) ou dans une version absolument remarquable par le Chœur et l’orchestre de la fondation J.S. Bach , la Schola Seconda Pratica fondée et dirigée par Rudolf Lutz : https://www.youtube.com/watch?v=5tpFzmkGBJ4

Quant à Delerue, il s’agit du célèbre « choral » de la Nuit américaine de Truffaut. Voici une très belle interprétation récente : https://www.youtube.com/watch?v=krjStqZbnTc

Mais il y a aussi la bande originale… https://www.youtube.com/watch?v=OYWbZUIfYLA

Mais terminons notre écoute. Le psaume se termine par un magistral Amen vocalisé et répété plusieurs fois, qui marque la fin de la partie chorale.

L’orchestre reprend alors le beau thème chanté par les enfants à 9'07 pour annoncer la venue de l’Emmanuel (19’08) puis énonce le thème Es ist ein reis entsprungen et Il est né le divin enfant. Des échos des différents Noëls se superposent, le tout allant decrescendo. L’orchestre termine en écho comme si les chants de Noël s’éloignaient de nous. Peu à peu on retourne au silence mais un silence illuminé par tout ce que nous venons de vivre et d'entendre. Quelques échos subsistent puis l’orgue plaque quelques accords ponctués par quelques échos lointains. Enfin l’orgue termine par une longue tenue pianissimo. La lente coda nous a donc offert un nouveau pot-pourri de noëls finalement réduits à des phrases éparses s'éteignant par une tenue d’orgue dans la sérénité de la nuit de Noël jusqu’au silence total.


Pour écouter les Noëls dans leur version classique, voici quelques indications.

- Il est né le divin enfant : il en existe de multiples versions pour tous les goûts. En voici une très simple : https://www.youtube.com/watch?v=QfzB9atbi0s ou par les Petits Chanteurs à la Croix de Bois dans la version harmonisée par Joseph Noyon : https://www.youtube.com/watch?v=lYEcognCLVA

- Es ist ein reis entsprungen https://www.youtube.com/watch?v=JyrdxftXugA

- Von Himmel : https://www.youtube.com/watch?v=cqx_KQhJR7U ou https://www.youtube.com/watch?v=hoUpBOblIlA et bien sûr, Jean-Sébastien Bach, Prélude de choral : une version par Olivier lATRY https://www.youtube.com/watch?v=Zbb9gDbqWNw et oar Michel Chapuis : https://www.youtube.com/watch?v=JZRE9MV4838

- O du fröhliche, o du selige, https://www.youtube.com/watch?v=Ayjep30mXUU


En espérant que ces quelques notes d'écoute auront pu vous être utiles...


Daniel Blackstone

Commentaires


bottom of page