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Une "sacrée" et très agréable surprise.

  • Nègrepierre
  • 17 oct. 2021
  • 8 min de lecture

Je n’ai pas toujours pensé du bien, je l’avoue, des compositions de Jo Akepsimas même lorsqu’il s’entourait de paroliers tels que Didier Rimaud ou Michel Scouarnec. Et c’est par pure curiosité que j’ai cliqué sur le lien des éditions Bayard Musique qui m’invitaient à découvrir le nouveau disque de Jo Akepsimas. Un titre en latin, cela ne préjugeait pas de la suite. Mais après, ce fut le choc ! Reproduisons simplement la présentation de l’éditeur : « Jo Akepsimas nous propose une écriture contemporaine des hymnes latines célèbres s’inscrivant dans la grande tradition musicale sacrée. […] Ce sont 13 hymnes latines célèbres (dont 6 dédiées à la Vierge Marie) et 3 "ordinaires de messe" en latin que le compositeur a choisi de mettre en musique. Musicien capable d’écrire dans des styles très différents, Jo Akepsimas donne ici libre cours à son talent et nous offre des œuvres qui s’inscrivent dans la grande tradition musicale sacrée : grand connaisseur de cette tradition, le compositeur ouvert à de nombreux courants musicaux livre ici des œuvres personnelles que bien des maîtrises et des chœurs apprécieront de faire entrer à leur répertoire. Elles sont ici magnifiquement interprétées par un ensemble vocal. »

Comment Jo Akepsimas peut-il écrire aujourd’hui des œuvres que beaucoup vont trouver « passéistes » et « contraires à l’esprit de Vatican II » ?

Examinons les différents problèmes que posent ces œuvres par rapport à l’art sacré. Car il s’agit bien d’œuvres qui se veulent non seulement sacrées mais liturgiques !


La langue, d’abord.


Le texte : latin ou langue vernaculaire ?

Pourquoi écrire aujourd’hui sur des textes latins ? L’église de France n’a-t-elle pas tourné le dos définitivement à cette langue morte (et enterrée par l’Education Nationale) bannie des célébrations ?

Pour comprendre ce parti-pris, il n’est pas inutile de faire un peu d’histoire.

Pourquoi le concile de Trente (la ville, bien entendu) convoqué en 1542 et terminé seulement, après bien des avatars, en 1563 a-t-il confirmé l’usage du latin dans la liturgie et les actes officiels de l’église latine ?

La question a été débattue longuement. Et finalement, le Concile, dans sa session XXII du 17 septembre 1563 au chapitre 8 déclare : « Bien que la Messe enferme un grand enseignement du peuple fidèle, il n’a pourtant pas paru être avantageux aux Pères (conciliaires) qu’elle soit célébrée « passim » (indistinctement, dans l’ensemble) en langue vulgaire ». Ce qui fut acté dans le canon 9 : « Si quelqu’un dit que le rit(e) de l’Eglise Romaine, où sont prononcées à voix basse une partie du canon et les paroles de la consécration doit être condamné, ou que la messe doit être célébrée seulement en langue vulgaire […], qu’il soit anathème. »

On voit que le Concile s’est posé la question et y a répondu avec prudence et sans fermer la porte à une évolution, malgré ce que prétendent certains.

Pourquoi une telle prudence ? Il faut simplement se souvenir de l’état des « langues vulgaires » au XVI° siècle. Le français est en train de se constituer et n’est, de toutes façons, parlé que par une toute petite partie de la population. Il en est de même en Allemagne et dans les autres parties de l’Europe. Comment, dans ces conditions, établir une traduction valable et compréhensible des textes du missel et du rituel ? Le souci du Concile est l’instruction des fidèles. Et le concile demande aux Pasteurs d’expliquer et commenter (et cette fois, dans la langue des fidèles) les textes liturgiques.

En quoi cela concerne-t-il l’art sacré ? C’est qu’il ne suffit pas qu’un texte soit clair pour célébrer dignement, mais il faut aussi qu’il soit beau. C’est d’ailleurs à quoi se sont efforcés les luthériens et les réformés. Luther est lui-même un véritable poète. Quant à Calvin, il fait appel à Clément Marot et Théodore de Bèze. Les protestants n’ont donc pas sous-estimé l’ampleur de la tâche et son enjeu. Les catholiques romains s’y trouvent confrontés aujourd’hui. Le concile Vatican II n’a d’ailleurs pas éludé la question. Il suffit de relire l’article 36 de la Constitution « Sacrosanctum concilium » qui traite du problème pour sentir combien le Concile est conscient des difficultés…[1]

Le cas est particulièrement délicat lorsqu’il s’agit d’offrir aux fidèles des textes poétiques écrits primitivement en grec ou en latin. Car la question se pose à l’intérieur même des évangiles. Le Magnificat et le Cantique de Siméon ont donné lieu à des traductions diverses selon qu’on privilégiait l’exactitude du sens ou la forme poétique. Il en est de même pour les psaumes. Très vite, les traductions deviennent caduques en raison de l’évolution de la langue. Les protestants révisent leurs textes. Plusieurs auteurs catholiques entreprennent au XVII° siècle des « paraphrases » c’est-à-dire des traductions poétiques des psaumes. Jean Racine entreprend la traduction poétique des Hymnes du bréviaire. L’une de ces traductions nous est bien connue grâce à Gabriel Fauré qui a mis en musique la traduction faite par Racine de l’hymne de Tierce (troisième « Heure » du bréviaire romain). Il s’agit du célèbre « Cantique de Racine » que vous pouvez écouter par exemple ici https://www.youtube.com/watch?v=GyAIb0NeWlc

Mais revenons-en aux hymnes mis en musique par Jo Akepsimas. Bien sûr, ces hymnes l’ont été d’abord en chant grégorien. Mais ils l’ont été également par des auteurs du XVIII° au XX° siècle et en polyphonie. Comme le dit aussi le Concile Vatican II, « L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place.

Les autres genres de musique sacrée, mais surtout la polyphonie, ne sont nullement exclus de la célébration des offices divins, pourvu qu’ils s’accordent avec l’esprit de l’action liturgique, conformément à l’article 30. »

Un essai louable de transposition pour notre temps de l’hymne de Venance Fortunat, évêque de Poitiers au VI° siècle et excellent poète dont les hymnes ont été abondamment repris par la liturgie, a été fait par la communauté de l’Emmanuel. On peut l’écouter ici : https://youtu.be/Rt-JAFaZnTs

Comparons le texte latin, la traduction littérale et la transposition faite dans le chant de l’Emmanuel.

Vexílla Regis pródeunt,

Fulget Crucis mystérium :

Quo carne carnis cónditor,

Suspénsus est patíbulo.


Même sans connaître le latin et sa prosodie, on peut sentir les octosyllabes qui rythment l’ensemble de la strophe.

La traduction littérale est la suivante :

Les étendards du Roi s’avancent,

le mystère de la croix se manifeste avec éclat :

le créateur de la chair par cette chair

a été suspendu sur une pièce de bois.


Bien sûr, de nombreuses interprétations du texte ont été faites au cours des âges. Mais cela nous entrainerait trop loin.


Prenons la première strophe du chant de l’Emmanuel :


Ô Croix, étendard de victoire,

Bois où le Christ, Prince de vie,

Pour nous se livre à la mort,

Aujourd'hui s'accomplit notre salut.


Certes, le texte est clair, mais avouons que ce n’est pas très poétique. On pourrait même dire que c’est « prosaïque » dans tous les sens du terme… Est-ce vraiment cela, un texte destiné à un usage liturgique ? Au lecteur de juger…


Voici une autre traduction, faite au milieu du XX° siècle par un moine bénédictin, Dom René-Jean Hesbert.


Aujourd’hui du grand Roi l’étendard va marchant,

Où l’Auteur de la chair vient sa chair attachant.

Aujourd’hui de la Croix resplendit le mystère,

Où Dieu souffre la mort aux mortels salutaire.


Nous voici avec un vrai texte poétique et qui, néanmoins, est également proche du texte latin. Ce n’est donc pas impossible…

L’important est de ne pas faire une question de principe ou une question dogmatique d’un domaine où les églises orientales nous ont donné depuis si longtemps une réponse…

Le problème ne serait-il pas l’état actuel de la langue française ?


Et la musique dans tout ça ?


Si nous revenons au disque de Jo Akepsimas qui est à l’origine de notre réflexion, nous nous retrouvons dans une ambiance musicale proche à la fois de la Renaissance et des compositeurs modernes et même contemporains.

Pour la Renaissance, citons Thomas Luis da Victoria, dont on peut écouter l’O vos omnes sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=pXJ7I2K_kvo et pour les compositeurs modernes, citons Francis Poulenc et ses différentes compositions religieuses. On peut écouter son Exultate Deo https://www.youtube.com/watch?v=sB43cTiVVuk&t=24s ou https://www.youtube.com/watch?v=kKBLHljxOSg Ou ses motets pour un temps de pénitence https://www.youtube.com/watch?v=xUDfA9EhE50 ou https://www.youtube.com/watch?v=EpymyOl08AI

Et en français, Jean Langlais, compositeur et organiste qui a participé au renouveau liturgique https://www.youtube.com/watch?v=a-QJA1pGhpM avec ce très beau cantique à la Vierge « Gloire à toi Marie » ou encore ce « Gloria » extrait d’une « messe brève » https://www.youtube.com/watch?v=DtzlAFdgd5Y écrite avant le Concile, d’où un texte français un peu différent de la traduction actuelle.

Jo Akepsimas n’a pas à rougir de la comparaison avec ces compositeurs. Il est temps d’écouter les extraits de son disque présents sur https://www.bayardmusique.com/album/1931/cantate-domino-j-akepsimas-choeur-adf

Nous n’aurons pas la cruauté de comparer ces musiques à la sauce gélatineuse et pleurnicharde (fort bien faite, d’ailleurs) qui accompagne le cantique de L’Emmanuel https://youtu.be/Rt-JAFaZnTs

L’enfer est pavé de bonnes intentions…

Avouons que nous ne sommes pas loin de « Jésus reviens » du film « La vie est un long fleuve tranquille… » Ecoutons et regardons cette version : faut-il en rire ou en pleurer ? Je préfère en rire… https://www.youtube.com/watch?v=s2pr0O7kbmc Rappelons que dans l’esprit des auteurs du film, il s’agissait d’une parodie !


Jo Akepsimas, tout au long de sa vie, n’a cessé de chercher avec les meilleurs théologiens, poètes et musiciens de son temps à renouveler le chant d’église. Il a parfois suivi des chemins sans issue. Il écrit lui-même[2] : « J’ai donc cherché comment marier les chants liturgiques avec les musiques « du temps ». […] Pendant cinq ans, j’ai poussé loin cette recherche d’inculturation, faisant appel au gratin des musiciens de jazz pour mes disques. Mais progressivement, je me suis rendu compte que certes cette musique changeait le style des célébrations et rendait les célébrants moins guindés. Par contre, peu d’assemblées réussissaient à entrer dans le swing syncopé, et à chanter correctement ces musiques. Je faisais fausse route. Je me faisais plaisir, mais je ne rendais pas service aux assemblées. » Depuis, Jo Akepsimas a rectifié le tir. Et des chants comme « Ta nuit sera lumière de midi » en sont le témoignage. https://www.youtube.com/watch?v=X0slqH-8_bw Et dans son dernier disque, Jo Akepsimas ne tourne pas du tout le dos à sa recherche de toujours, mais il va en quelque sorte, au bout de cette recherche en nous proposant non seulement des hymnes et des psaumes dans leur texte latin originel mais même trois messes complètes : une intitulée « Missa Cantate Domino », une deuxième intitulée « Missa brevis » et une troisième intitulée « Missa Jubilate Deo ». Après tout, Jo Akepsimas ne fait qu’appliquer ici la parole de l’évangile de Matthieu 13, 52 : Jésus ajouta : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. »

Plutôt que de commenter chacune des œuvres de Jo Akepsimas en reconnaissant chez lui une culture et un métier tout à fait remarquable ; mais, au-delà des influences dont nous avons parlé, en reconnaissant surtout un langage original et particulièrement séduisant, je vous invite à en écouter les extraits présents sur le site https://www.bayardmusique.com/album/1931/cantate-domino-j-akepsimas-choeur-adf où l’on peut également acheter l’album en CD ou en téléchargement.

Daniel Blackstone


[1] 6. La langue liturgique 1. L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins 2. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants, conformément aux normes qui sont établies sur cette matière dans les chapitres suivants, pour chaque cas. 3. Ces normes étant observées, il revient à l’autorité ecclésiastique qui a compétence sur le territoire, mentionnée à l’article 22 (même, le cas échéant, après avoir délibéré avec les évêques des régions limitrophes de même langue), de statuer si on emploie la langue du pays et de quelle façon, en faisant agréer, c’est-à-dire ratifier, ses actes par le Siège apostolique. 4. La traduction du texte latin dans la langue du pays, à employer dans la liturgie, doit être approuvée par l’autorité ecclésiastique ayant compétence sur le territoire, dont il est question ci-dessus. [2] In Chanter en église. Sous la direction de Daniel Moulinet. Le point théologique n° 65. Éditions Beauchesne. Paris 2018 pages 71 et suivantes.

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